Avant-propos
Les partisans des énergies renouvelables "fatales" opposent souvent l'argument du stockage de l'électricité comme étant la solution à l'intermittence de la production. Les progrès techniques déjà réalisés et surtout ceux à venir sont considérés comme la panacée qui permettra de rendre le mix électrique renouvelable vertueux et totalement décarboné.
Si ces technologies peuvent effectivement remplacer le gaz en complément de l’éolien et du solaire, il faut avoir en tête quelques ordres de grandeur, qui remettent sérieusement en cause ces solutions à grande échelle.
Nous considérerons ici trois différentes techniques de stockage, afin d’en évaluer les performances et la faisabilité technique en regard des besoins :
• Les batteries,
• L'hydrogène,
• Les stations de pompage.
Stockage par batteries
Une batterie fonctionne sur le principe de la transformation d’énergie électrique en énergie chimique et réciproquement. L’énergie est stockée dans des matériaux (plomb, lithium, etc.).
La loi de Moore qui dit que la capacité mémoire des ordinateurs double tous les 18 mois, ne fonctionne pas pour la chimie : en effet, pour stocker 2 fois plus d’énergie, il faut obligatoirement 2 fois plus de matériaux.
Le seul progrès que l’on puisse attendre de la recherche est un meilleur rendement. La technologie Li-ion est ce qu’on a de plus performant en termes de masse par kWh à ce jour. Les recherches actuellement en cours au CEA-LITEN sur une technologie remplaçant le lithium par du sodium plus abondant dans la nature donnent des batteries certes moins chères, mais 3 fois moins performantes. On est donc arrivé à un optimum dans ce domaine.
Le rendement de charge d’une batterie Li-ion est de l’ordre de 88% et le rendement de décharge de 93%, ce qui en soit est remarquable. Pour utiliser l'énergie stockée, il faut utiliser un onduleur pour transformer le courant continu de la batterie en courant alternatif, puis un transformateur pour alimenter un moteur électrique. On obtient alors un rendement système global de 70% (Source ADEME). Ce qui signifie qu’on a 30% de l’énergie stockée qui est perdue (sous forme de chaleur).
Batterie de démarrage de voiture :
• Plomb et acide sulfurique, tension 12V, 20 kg/ kWh.
• Capacité 100 Ah, soit 1200 Wh, 1,2 kWh pour 25 kg,
• Coût 100 €, soit 83€/kWh
Batterie de voiture électrique (ce qu'on fait de mieux à ce jour) :
• Lithium-ion, tension 400V, 6kg/kWh
• Capacité 52 kWh (Zoé) pour 326 kg, 110 kWh sur certains nouveaux modèles.
• Coût 12 000 €, 40% du prix de la voiture, soit 230 €/kWh
Prenons l’hypothèse optimiste d’un stockage par batterie Li-ion ayant un coût réduit à 100 €/kWh issu d'une «Gigafactory», en négligeant toutefois la notion de rendement pour simplifier.
• Sur 24 heures il faudrait stocker 192 MWh, avec 1100 tonnes de batteries (6t/MWh), pour un coût de 20 M€ (100€/kWh)
• Pour une semaine sans vent, il faudrait alors stocker 1,3 GWh dans 7800 tonnes de batteries Li-ion, pour un coût de 140 M€, soit un hangar de 10 m de haut et de 780 m², sans compter des couloirs de circulation et de ventilation.
Exemple de réalisation concrète : 100MWh de stockage sur batterie Lithium-Ion pour un investissement de 33 M€ à Deux-Acren qui vient d'être mise en service en Belgique (décembre 2022). voir https://corsicasole.com/project/deux-acren/
Objectif : assurer la régulation de la fréquence sur le réseau d’électricité belge, et non pas pallier à l'intermittence du renouvelable.
Pour remplacer 660 éoliennes (5280 MW) un seul jour sans vent, il faudrait donc :
• Sur 24 heures, soit 126,7 GWh à stocker qui nécessiteraient pas moins de 726 000 tonnes de batteries, installées dans un hangar de 7 hectares (10 terrains de foot), pour un coût de 13 200 M€, soit plus cher qu’un EPR prototype à 12 milliards d’euros d'une puissance de 1650 MW.
Remarques :
1. Le lithium est un matériau extrêmement inflammable, et on observe régulièrement des cas d’explosion de batterie Li-ion sur des téléphones. La charge des batteries dégage de l’hydrogène ce qui constitue aussi un risque important. Je vous laisse imaginer le risque pour une telle installation…
2. Le nombre de cycles de charge, et décharge rapide d’une batterie Li-ion est de 1000, chiffre au-delà duquel elle perd sa capacité. On peut en revanche avoir plusieurs milliers de cycles en charge lente, mais la tendance est de vouloir recharger sa voiture électrique le plus rapidement possible...
3. Une usine d’une capacité de production de batteries de 5 GWh réclamerait chaque année 4 000 tonnes de carbonate de lithium et 8 300 tonnes de métaux rares. Or, selon différentes études, la capacité de production de ce type de batterie va augmenter pour atteindre 1,3 TWh d’ici 2030 (soit 260 fois plus).
Dans le processus de fabrication de la batterie pour un véhicule tout électrique, des métaux rares y sont intégrés. Si le lithium s’avère le principal composant, on peut aussi trouver : du manganèse, du cobalt, du nickel, du cuivre et de l’aluminium.D’autres matériaux comme le graphite et les solvants sont également utiles. On peut aussi utiliser du sodium à la place du lithium, matériau beaucoup moins rare et moins cher, mais les performances des batteries sont réduites. (Recherches du CEA/LITEN)
Bilan carbone des batteries
Mais, une dernière remarque et non la moindre, c'est qu'il faut aussi considérer les émissions de CO2 lors de la fabrications de batteries, dans une usine qui va utiliser beaucoup d'énergie, plus ou moins décarbonée selon la production d'électricité du pays où elle est implantée.
Une étude de l'ADEME donne les résultats suivants pour la production de batteries de voitures électrique en France et l'Allemagne :
En France
Avec un mix électrique Français considéré comme faiblement carboné, la production d’un kWh de batterie est de de 110 g CO2/kWh.
En Allemagne :
Avec un mix électrique Allemand considéré comme fortement carboné : la production d’un kWh de batterie en Allemagne de 623 g CO2/kWh
On a vu que l'intermittence d'une éolienne marine de 8 MW, qui produit à pleine puissance 192 MWh d'électricité pourrait être compensée sur 24 heures par 1100 tonnes de batteries.
Ces batteries fabriquées en France avec une électricité décarbonée à 93% grâce au nucléaire, seraient la source de 21 tonnes d'émissions de CO2. Les mêmes batteries fabriquées en Allemagne produiraient 120 tonnes de CO2. Tout ça pour économiser l'émission de 85 tonnes ce CO2 d'une centrale à gaz. L'avantage sur le plan du CO2 n'est donc pas évident, et le coût des batteries serait de toute façon prohibitif.
Stockage sous forme d’hydrogène
Le gaz hydrogène (H2)
est un vecteur énergétique, au même titre que l’électricité. Ce n’est pas un
combustible que l’on trouve dans la nature, au contraire du gaz naturel. Il
faut le produire et le stocker, ce qui consomme beaucoup d’énergie, et de ce
fait, on peut considérer un réservoir d'hydrogène comme étant un stockage d'électricité.
La combustion de
l’hydrogène est parfaitement propre, ne dégageant que de l’eau, à condition toutefois
qu’il ne soit pas produit à partie de gaz naturel (méthane) comme c’est
généralement le cas actuellement.
2 x H2O + énergie <=> 2 x H2 + O2
Il faut donc le
produire par cassure de la molécule d’eau, selon 2 procédés envisageables :
à basse température à partir d’électricité (électrolyse) ou bien à haute température
à partir d’une source de chaleur.
La chaîne de production est alors la suivante :
· Un électrolyseur alimenté en électricité permet de casser la molécule d’eau, ce qui nécessite beaucoup d'énergie.
·
Un compresseur est ensuite nécessaire pour stocker l’hydrogène dans un réservoir sous pression autour de 700 bars, ou mieux sous forme liquéfiée, ce qui nécessite encore beaucoup d'énergie.
L’électrolyse à haute température (500 à 1000°C) permettrait d’augmenter le rendement du stockage d’environ 50%, en utilisant directement la chaleur issue d’un réacteur nucléaire dédié par exemple. Toutefois ce procédé n'est pas industrialisés à ce jour.
L'hydrogène est une solution intéressante pour les besoins de mobilité, mais il faut avoir en tête que le rendement de 25% de la chaîne de production complète, nécessiterait de multiplier par 4 les moyens de production d'énergie renouvelable nécessaire à la production électrique souhaitée.
Pour aller plus loin sur ce sujet, je vous propose cette vidéo très bien faite de la chaîne YouTube "Osons comprendre"
Stockage par pompage (STEP)
La technique la plus
adaptée au stockage d’électricité en grande quantité est celle des stations de
transfert d’énergie par pompage (STEP).
Les STEP bénéficient d’un bon rendement (rapport entre
électricité produite et l’électricité consommée) qui est situé entre 70% et
85%. Cela signifie que pour produire 1 MWh, il a fallu préalablement consommer près
de 1,25 MWh en moyenne pour pomper l’eau jusqu’au bassin supérieur.
À ce jour, nous avons
en France 6 unités de pompage, pour une puissance installée de 4,8 GW,
qui ont produit en 2020 4,3 TWh d’énergie, soit moins de 1% de la
production hydraulique en France
S’il n’y a
pratiquement plus aucun site permettant la construction de nouveaux barrages en
France, il est toutefois encore possible d’installer des stations de pompage
sur quelques barrages existants.
L’objectif PPE pour
2028 est de monter cette capacité à 5,7 GW, par une ou deux stations
supplémentaires à construire on ne sais où.
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