Blog du collectif Vigies de la côte des Aven.
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Les annonces d'Emmanuel Macron à Belfort sur la relance du nucléaire, correspondent pratiquement au scénario N03 élaboré par RTE dans son rapport et objet de mon article n° 12 du 9 novembre 2021. Je vous propose ici une analyse critique des ces annonces dans un nouveau scénario que j'appellerai ici EM03, en abordant les aspects techniques, mais aussi les aspects coûts.
Ces annonces reposent sur 2 volets, le premier étant la construction de nouvelles centrales, le second, étant le maintien en service le plus longtemps possible des réacteurs nucléaires actuels, ceci en écart important à la Stratégie Nationale Bas Carbone et à la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV), déclinés en 2020 par la Programmation Pluriannuelle de l'Energie qui prévoit la fermeture de 6 anciens réacteurs nucléaires d'ici 2028, de 8 autres d'ici 2035 avec un objectif de neutralité carbone en 2050 sans nouveau nucléaire.
« Je souhaite qu'aucun réacteur nucléaire en état de produire ne soit fermé à l'avenir, compte tenu de la hausse très importante de nos besoins électriques, sauf évidemment raison de sûreté »
La construction de 6 EPR d'ici 2035 et de 8 EPR d'ici 2050 est donc l'objectif annoncé, et la difficulté, c'est que la capacité industrielle française serait incapable de faire plus, selon les différents experts consultés par RTE. C'est pour cela qu'en même temps, Macron propose d'augmenter considérablement les ENR, solaire, éolien, et notamment éolien maritime.
Scénario EM03 : objectif de 50 GW de nucléaire en 2050
Nucléaire en 2050 : 50 GW pour 325 TWh de production électrique annuelle et un coût total de 250 Md€
L'annonce d'Emmanuel Macron est en fait de maintenir en fonctionnement tous les anciens réacteurs qui le pourront en toute sécurité, avec un avis favorable de l'ASN après les mises à niveau qui s'imposeront. En fait sur les anciens réacteurs comme Fessenheim, tout les composants qui le peuvent ont été remplacés, ou le seront, à l'exception de la cuve. Si tout va bien, on pourra peut-être en fermer moins qu'annoncé dans ce scénario.
Il n'en reste pas moins que si on se projette en 2050, ces réacteurs finiront par être arrêtés. L'annonce du président ne joue que un retard dans les arrêts de centrales qui permettront peut-être de rattraper les 10 ans perdus à ne pas construire de nouveau nucléaire pour prendre le relais.
Dans les scénarios N03 et EM03, on conserve 24 GW de puissance nucléaire existant en fermant les 24 réacteurs de 900 MW et les 12 réacteurs de 1300 MW les plus anciens.
Pour atteindre un objectif total proche de 50 MW de puissance nucléaire, on doit donc construire en plus du réacteur de Flamanville, 7 paires de réacteurs de type EPR pour une puissance totale de 25 GW, et autant de paires de SMR répartis sur le territoire en appui des énergies renouvelables, soit un total de 2,4 GW. La production nucléaire de ces nouvelles centrales sera de 178 TWh annuels, soit un facteur de charge de l'ordre de 75%.
La production nucléaire qui représente 25% de la puissance déployée dans ce scénario serait ainsi de 325 TWh annuels, soit 50% de l'objectif de production totale d'électricité de 640 TWh en 2050.
Le coût de cet investissement est annoncé à 50 Md€ pour 6 nouveaux EPR, soit 8 800 M€ l'unité. Pour un total de 14 EPR, cela coûtera près de 150 Md€. Il faut ajouter à cela environ 100 Md€ pour la maintenance des anciens réacteurs, estimation faite par EDF jusqu'en 2050.
Au total, ce scénario suppose un investissement d'environ 250 Md€ sur 28 ans, soit environ 9 Md€ par an, pour des centrales conçues pour durer 60 ans et qui auront encore entre 35 et 50 ans de vie en 2050. On notera ici que le coût du nouveau MW nucléaire installé est en moyenne de 5 M€, chiffre à comparer avec d'autres sources d'électricité.
ENR fatales en 2050 : 172 TW déployés pour 344 TWh d'électricité produite annuellement et un coût total de 312 Md€
Le nouveau nucléaire est complétée dans l'annonce du président par une débauche de déploiements de moyens de production d'électricité dites renouvelables, dont l'intermittence n'est compensée que par certain nombre de "Moyens de flexibilité", tels qu'il sont dénommés dans le scénario RTE, et qui relèvent soit de la science fiction, soit sont carrément inquiétants comme l'importation d'électricité (allemande ?), ou bien la capacité d'effacement, et d'autres terme les coupures d'électricité sur certains gros industriels, ce qui ne sera pas sans incidences économiques et sociales.
Photovoltaïque EM03 : 100 GW - 105 Md€
Éolien terrestre EM03 : 32 GW - 48 Md€
L'annonce d'Emmanuel Macron sur l'éolien terrestre est de seulement doubler le parc existant (contre 2,5 dans le scénario RTE). La puissance installée passerait donc à 32 GW (contre 43 GW dans N03) pour environ 16 000 mâts, soit une production de 64,5 TWh annuels (contre 86 TWh) pour un facteur de charge de 23%.
Éolien en mer EM03 : 40 GW
Etant donné la réduction (modérée) des ambitions sur l'éolien terrestre justifiée par l'opposition systématique rencontrée à ces projets, Emmanuel Macron fait le forcing sur l'éolien maritime qui n'aurait pas cet inconvénient (sic).
Il prévoit donc dans cette annonce la construction de 50 parcs éoliens maritimes pour un total de 40 GW (pour 22 GW dans le scénario RTE) d'éolien maritime, soit une puissance de 800 MW par parc éolien. Si les éoliennes maritimes ont un puissance unitaire de 8 MW, cela fait 100 éoliennes géantes par parc, soit un total de 5000 éoliennes.
Or, sur les 11 projets de parc marins de la PPE actuellement en préparation ou en construction, on est plutôt à 60 éoliennes par parc, soit 480 MW.
On peut alors espérer 140 TWh de production d'électricité (soit le double du scénario RTE) avec un facteur de charge très optimiste de 40% (au lieu de 35% actuellement constatés sur ce type d’éolienne).
Selon différentes sources, le coût du MW éolien maritime installé et raccordé au réseau est de l'ordre de 4 M€ (à comparer à 5 M€ pour le nucléaire). Le coût global des investissements annoncés par Emmanuel Macron se montera à 160 Md€ pour des installations qui ne durerons que 25 ans, donc à renouveler peu après 2050...
Autres moyens de production pilotables
Hydraulique existant : 22 MW pour 63 GWh produits
Il n'y aura pas de nouveau barrage construit en France, qui ne dispose plus d'aucun site exploitable. Les 2300 barrages actuels continueront de délivrer une puissance de 22 MW et de produire 63 GWh d'électricité renouvelable avec un facteur de charge moyen de 33%.
Thermique existant : 446 MW pour 3 GWh produits
Moyens de flexibilité
Capacité d'importation : 5,2%
Flexibilité de la demande : 1,7%
La valeur proposée dans ce scénario est de 13 GW de capacité d'effacement, soit l'équivalent d'environ 10 réacteurs nucléaires, ce qui ne sera pas sans conséquence sur le fonctionnement des entreprises concernées, et sur l'économie du pays.
Vehicle-to-grid : 0,2%
Dans ce scénario, le V2G (Vehicle-to-grid) à été revu à la baisse avec 1,7 GW, soit environ 17 000 voitures connectées pour une capacité d'une heure.
STEP : 1%
Nouveau thermique décarboné : 0%
Cette option a disparu dans ce scénario, car le nucléaire est bien plus efficace pour produire de l'électricité décarbonée, et la technologie a le mérite d'exister, malgré les difficultés rencontrées actuellement sur l'EPR.
En effet le « nouveau thermique décarboné »
qui est pris dans les hypothèses RTE N03 relève de la science-fiction. On porrait effectivement brûler de l’hydrogène, mais il faut encore savoir avec quelle
électricité on le produit (nucléaire dédié ?) En effet, les électrolyseurs
tels qu’on les connait s’accommodent mal d’une électricité intermittente), on
peut aussi imaginer brûler du charbon en récupérant tout ce qui sort des
cheminées….
Batteries : 0,13%
Dans ce scénario, on donne un chiffre de 1 GW, ce qui une fois encore ne renseigne pas sur la capacité d'électricité stockée. On est encore réduit à des conjectures sur la durée du stockage : combien d'heures, de jours sont-ils nécessaires ?
Si on considère un stockage sur batteries permettant de délivrer une puissance de 1 GW sur 24 heures, cela donne une capacité totale de 24 GWh de batteries, soit l'équivalent d'environ 24 000 voitures TESLA Model S dont la batterie à une capacité de 100 kWh. On arrive à une capacité qui parait plus raisonnable à réaliser avec des batteries et répartie sur différents sites.
Conclusion
Dans ce dernier scénario la puissance totale des énergies pilotables (nucléaire, hydraulique et bioénergies) est de 76,4 GW, à comparer aux 135 GW d’énergies renouvelables fatales. Les "moyens de flexibilité" sont chiffrés à hauteur de 62,7 GW. pour combler cet écart.
Si on fait le rapport entre la puissance pilotable à laquelle on ajoute la puissance des moyens de flexibilité, soit 139 GW et la puissance des moyens fatals de 135 GW, on obtient un taux de sécurité théorique de 100%.
Toutefois, cela repose sur une hypothèse de 39 GW d'importations et de 13 GW de capacité d'effacement, soit près de 6% de la puissance totale, ce qui nous éloigne des 100% de sécurité d'approvisionnement. Encore une fois, le fait que ces chiffres soient exprimés en GW et non pas en GWh, ne nous permettent pas de bien évaluer ce scénario. Il manque ce qu'on pourrait appeler le "facteur de charge" de ces moyens, c'est-à-dire le pourcentage prévisionnel de leur utilisation sur l'année.
La principale critique que je ferai de ce scénario, c'est le chiffre de 633 TWh de production totale d'électricité qui me parait faible à une époque où l'on est censé avoir électrifié de nombreuses utilisations d'énergies fossiles. Le document RTE fixe une trajectoire énergétique qui pourrait atteindre les 750 TWh annuels, que l'on est loin d'atteindre ici. Encore une fois, les économies et la réduction des dépenses énergétiques doivent porter sur le thermique, et non pas sur l'électricité qui est justement le moyen de décarboner nos émissions.
Ce scénario démontre également que si on considère l'ensemble des coûts de chaque filière, et non pas simplement chaque technologie isolément, un système énergétique fondé pour l’essentiel sur le nucléaire fait baisser les coûts globaux, ce qui est contre-intuitif.
RTE montre également dans son rapport les limites industrielles de la filière nucléaire, indépendamment de tout aspect politique, et affirme qu'on ne sera pas capable de construire plus de 14 EPR sur la période considérée, ce qui justifie qu'on soit contraint de faire appel aux énergies renouvelables en quantités encore très importantes par rapport à l'existant et notamment à un nombre très important de parcs éoliens maritimes…
Voir l'article du Point :
"Nucléaire, éolien et solaire : quel sera le visage de la France en 2050 ?"
qui fait une bonne analyse de l'ensemble du rapport.
Jean-Paul Arnoul
Pour le Collectif Vigies de la côte des Avens
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