Blog du collectif Vigies de la côte des Aven.
Articles déjà parus ; https://vigiesdesavens.blogspot.com/2021/11/index-des-articles-deja-parus.html
Je vous propose la lecture de cet article sur le prix de l'électricité rédigé par l'UARGA
Résumé: les prix de l'électricité n'ont pas
attendu la guerre en Ukraine pour grimper. C'est l'OBLIGATION D'ACHAT, ce
privilège accordé à l'éolien et au photovoltaïque depuis quinze ans, qui a fini
par détraquer le système électrique européen. Certes, en les soustrayant ainsi
provisoirement aux règles de la concurrence libre et équitable tout en les
subventionnant généreusement, on a permis à ces deux énergies prometteuses de devenir
plus compétitives et de se développer. Mais ce développement à marche forcée
des renouvelables s'est accompagné en Europe d'une réduction des capacités
pilotables de production électrique, avec deux effets: (i) l'un climatique
(tantôt positif, lorsque cette réduction a fait baisser les émissions de CO2;
tantôt négatif dans les cas inverses), (ii) l'autre effet étant la profonde
dégradation du marché de l'électricité et son cortège de dysfonctionnements:
volatilité, pénuries, risque de coupures, hausse des prix.
Voyons plus précisément pourquoi...
L'obligation d'achat c'est quoi ?
C'est le (passe)droit, accordé aux producteurs d'énergies renouvelables
variables, de pouvoir injecter leur électricité sur le réseau sans aucune
restriction temporelle, commerciale ou technique (au gré du soleil et de la
météo, indépendamment de la demande du marché et de l'état de stabilité du
réseau - en tension et fréquence).
En pratique, cette
électricité fatale est achetée par des opérateurs désignés, comme EDF en
France, et bénéficie d'un complément de rémunération ou d'un tarif incitatif
garanti. Des taxes citoyennes sur les carburants et l'électricité - parfois
dites "taxes gilets jaunes" - remboursent ensuite EDF du trop payé.
A l'inverse, les
productions électriques pilotables sont tenues à chaque instant de s'ajuster (à
la baisse ou à la hausse) aux demandes du marché et à celles des gestionnaires
du réseau. Elles assurent donc aujourd'hui une tâche supplémentaire ingrate: la
compensation des sautes d'humeur des productions intermittentes.
On est bien loin du
principe de l'équilibre offre/demande, libre et concurrentiel, dont l'Europe
rêvait pour garantir aux consommateurs des électrons disponibles à tout moment
et à bas prix.
L'obligation d'achat pour quoi faire ?
Rappelons que c'est
la lutte contre le réchauffement climatique qui devait
guider la "transition énergétique" vers un avenir moins carboné (et
plus électrifié). Mais l'Europe, n'échappant pas aux pressions de puissants
lobbies, a parfois confondu l'objectif (émettre moins de CO2) et les moyens.
En réservant
l'obligation d'achat aux seules productions fatales intermittentes, elle a
provoqué le remplacement de capacités électriques pilotables (ne bénéficiant
pas de l'obligation d'achat) par des non pilotables (solaires et éoliennes),
avec des effets mitigés sur le climat, et délétères sur le marché électrique.
Comme prévu, les
effets climatiques sont positifs dans les pays où photovoltaïque et éolien ont
permis de réduire l'utilisation des capacités électriques fossiles, émettrices de CO2.
Mais dans d'autres pays les renouvelables se sont en partie substitués au nucléaire (arrêt de Fessenheim en France, sortie
du nucléaire en Allemagne), avec des conséquences alors
contre-productives sur le climat, car éolien et solaire sont malheureusement
plus carbonés que le nucléaire [1].
Mais indépendamment de
ces efficacités climatiques inégales, l'obligation d'achat a surtout eu
des conséquences graves sur le marché électrique en modifiant la
structure de l'offre.
Devenu hybride, c'est
à dire mêlant producteurs concurrentiels (qui sont
normalement la règle) et acteurs renouvelables prioritaires et subventionnés, le marché européen est tombé petit à
petit en ruine, entraînant difficultés et parfois faillites chez des compagnies
électriques jadis florissantes.
Rappelons comment se forme le prix de
l'électricité ( cf graphique):
Contrairement à une
idée erronée, le prix européen de l'électricité n'est pas "indexé"
sur le gaz.
Sur un marché
électrique sain et concurrentiel, pour un niveau donné de la demande, le prix
spot se forme à chaque instant en empilant,
par ordre de leurs mérites, les moyens de production disponibles, en commençant
par les moins chers jusqu'à ce que l'injection soit
égale au soutirage, l'électricité n'étant pas stockable .
Or, aujourd'hui cet
ordre du mérite a dû céder la première place aux productions
"fatales" intermittentes dont la priorité d'injection sert de
"coupe file" en leur conférant un coût marginal nul.
Résultat: chaque fois
qu'un coup de vent ou de soleil sur l'Europe inonde le marché de ces
kilowattheures "prioritaires", leur obligation d'achat impose aux autres producteurs d'électricité une obligation d'effacement équivalente.
Un symptôme inédit de
ce marché devenu fou a même fait son apparition: les prix négatifs. Lorsque vent et soleil conjuguent leurs excès en période de faible
demande, les prix spot peuvent devenir négatifs, obligeant les producteurs
pilotables à arrêter leurs usines. Un objet dont le prix est négatif - ce qui
revient à payer pour s'en débarrasser, comme ces électrons renouvelables
inutiles, ne s'appelle-t il pas communément un déchet ? Ainsi on a vu EDF
obligé d’acheter à la Suisse l’effacement d’une surproduction (ça s'appelle
céder le beurre et l'argent du beurre).
Le parc renouvelable prenant de l'ampleur, ces effacements intempestifs
répétés ont dégradé la rentabilité des productions pilotables et dissuadé les
nouveaux investissements non aidés. Le dysfonctionnement inverse est alors
apparu : la hausse généralisée des prix !
En effet, quand les moyens de production pilotables bas carbone et bon marché deviennent insuffisants (comme c'est le cas après dix ans de dérèglements et de désinvestissements [2]), le marché doit, pour satisfaire la demande (voir graphique), faire appel aux installations non-rentables, ou aux plus polluantes (comme le charbon à forte taxe carbone, ou le gaz dont le cours a flambé). C'est donc le coût marginal élevé de ces centrales fossiles d'appoint, celles qui fournissent les derniers électrons équilibrant offre et demande, qui fixe le prix de marché de la totalité de la tranche horaire.
Note: si le marché
affichait un prix plus bas, ces moyens d'appoint produiraient à perte, ou ne
seraient tout simplement pas démarrés, au risque de provoquer le blackout
redouté.
Depuis fin 2020, le
prix moyen du "marché à terme" a donc fini par s'orienter à la hausse
(plus de 400 euros/MWh pour un "ruban 2023 de consommation constante sur
12 mois "), tiré par un marché spot au-dessus de 1000 euros/MWh certains
jours. Finies les deux confortables décennies de prix inférieurs à 50 euros/MWh
!
Amplifiés par la crise
du gaz russe, ces prix hauts jamais vus font aujourd'hui le malheur des
consommateurs ... mais la fortune des gaziers, et aussi des traders français
d’électricité ARENH (qui sont autorisés à piller EDF et le consommateur
français en arbitrant entre l'ARENH et le marché).
La France, un exemple caricatural de mauvaise gestion énergétique nationale et européenne
En une décennie notre pays a abandonné 11 gigawatts
de capacités électriques thermiques pilotables (pourtant précieuses
et mobilisables lors des pointes hivernales), passant de 92,2 GW [3]en 2011 à 81,5
GW [4] en 2021 (soit
dix ans et 100 milliards d'euros de taxes et subventions aux ENRi plus tard).
Résultat, après avoir
été le plus gros exportateur mondial d'électricité pendant 20 ans, notre pays
subit une montée inexorable des prix et une pénurie d'électrons pilotables aux
heures de pointes. La France ne sait même plus maîtriser ses TRV - tarifs
régulés de vente ; basée hier sur nos coûts de production stables et bas, leur
formule est aujourd'hui en partie indexée sur le marché.
Notre pays, qui n'a
pas connu de panne depuis le 19 décembre 1978, craint maintenant des coupures
d'électricité, et n'a d'autres solutions que les importations d'électricité et,
pire, les effacements, forcés ou négociés, qui réduisent un peu plus la
production des entreprises déjà au plus bas dans le désert industriel qu'est
devenu notre pays !
Pour mettre fin à la hausse des prix
de l'électricité abolissons le privilège de
l'obligation d'achat |
Aux armes citoyens et consommateurs ! Demandons l'abolition de ce privilège féodal qu'est l'obligation d'achat ! Sachons rectifier nos erreurs et retrouver notre souveraineté électrique. Éolien et photovoltaïque ont bénéficié durant quinze ans de l'obligation d'achat, ainsi que de nos taxes et subventions (des centaines de milliards d'euros). Il est temps désormais de placer ces deux énergies prometteuses dans le "grand bain" des réalités énergétiques, où elles doivent finir de s'émanciper pour apporter enfin aux citoyens qui les ont financés les bénéfices attendus. Pour ça, demandons un MORATOIRE SUR L'OBLIGATION D'ACHAT [5].
Éolien et photovoltaïque en bénéficient depuis trop longtemps. Rétablissons une électricité durable, équitable et bon marché, dans un système européen assaini où chaque source d'électricité se repositionnera, comme jadis, selon ses mérites techniques, économiques et climatiques. Certes les producteurs et fournisseurs photovoltaïques et éoliens devront se doter de moyens de stockage ou de production pilotable complémentaires, afin offrir à leur clients (ou à eux mêmes pour les auto-consommateurs) une électricité qui satisfasse enfin la demande en temps et quantité [6].
Ce sera la contrepartie légitime du trésor financier que les
contribuables leur ont avancé par leurs taxes et subventions. Juste retour des
efforts consentis par les producteurs d'électricité décarbonée pilotable, c'est
le prix à payer par les opérateurs renouvelables pour devenir à leur tour
durables, utiles et vertueux pour nos économies et pour le climat.
Jean-Luc Salanave, le 5 février 2023
Note: le GIEC affiche une moyenne mondiale de 12 grammes de CO2 par kWh
nucléaire, plus élevée que la France qui bénéficie d'une électricité décarbonée
à 90% pour ses activités nucléaires domestiques.
[2]. Pas moins de 18 réacteurs nucléaires (18 GW) auraient dû être construits progressivement au cours des 20 dernières années pour que la France soit capable de pourvoir aux pointes journalières de consommation d'hiver sans importer d'électricité carbonée de ses voisins ni démarrer ses propres capacités fossiles de production électrique polluante (sur rte-france.com/eco2mix ce déficit de 18 GW est observable en moyenne depuis au moins 5 ans).
[4]. France (2021),
capacité de production électrique thermique pilotable 81,5 GW: nucléaire 61,4
GW; fuel 3,3 GW; gaz 12,8 GW; charbon 1,8 GW; thermique renouvelable 2,2 GW (en
dehors du thermique, l'hydraulique représentait 25 GW , éolien + PV 32 GW) - source
RTE .
[5]. Si cette mesure
européenne est pour nous prioritaire, d'autres mesures nationales sont
urgentes: la France doit (1) abandonner ses TRV (tarifs régulés de vente) ou, à
défaut, revenir à une formule qui ne soit plus indexée sur le prix de marché
mais sur ses seuls coûts internes de production électrique et (2) abandonner
l'ARENH ou, à défaut, le consacrer non plus aux spéculateurs et fournisseurs
alternatifs, mais, directement et sans intermédiaires, aux PME et consommateurs
français, qui bénéficieront enfin des 42 €/MWh dont ils sont "propriétaires"
pour avoir financé depuis 40 ans le parc nucléaire.
[6]. Les
"périmètres d'équilibre" constituent le dispositif qui permet à un au
plusieurs producteurs, fournisseurs ou traders complémentaires de se constituer
en "responsable d'équilibre" sur le réseau électrique, pour gérer un
ensemble de points d'injection (productions) et soutirage (clients) en assumant
la responsabilité de l'équilibre offre/demande.
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