jeudi 4 novembre 2021

10 - Rapport RTE sur la trajectoire énergétique - Analyse du scénario M0

Je vous propose d'analyser sur le plan technique deux des scénarios proposés par RTE, soit les deux extrêmes, M0 avec 100% EnR, et N02 avec un maximum d'électricité nucléaire en 2050. Les autres scénarios s'échelonnent entre ces deux extrêmes qui sont suffisamment représentatifs des propositions techniques du rapport pour se faire une idée. Voyons dans cet article le scénario M0.

 Scénario M0 : 100 % EnR en 2050

"Le scénario M0 est construit autour d’un objectif de sortie complète du nucléaire en 2050. Pour que celle-ci obéisse à une trajectoire réaliste, permettant d’éviter « l’effet falaise » sur les fermetures, le scénario prévoit une accélération de la fermeture des réacteurs par rapport à la trajectoire actuellement retenue par la PPE. Ainsi, dans M0, 4 des 56 réacteurs nucléaires existants sont fermés d’ici 2030 et 22 d’ici 2040. "

Détaillons un peu chaque ligne du tableau "Filière" ci dessous pour comprendre les chiffres annoncés. Il faut rappeler une fois de plus qu'il s'agit ici uniquement des moyens de production d'électricité, qui représente en France 20% de la production d'énergie (environ 500 TWh en 2020 décarbonés à 93%), et qui pourrait monter en 2050 à 25%, avec un objectif de 716 TWh d'électricité sur le scénario M0 étudié ici.

Nucléaire : 0% de la production électrique

Dans ce scénario, nous n'avons donc plus aucune centrale nucléaire en fonctionnement en 2050. Il faudra tout de même gérer le démantèlement des centrales, gérer les déchets produits ces 50 dernières années et stocker les plus dangereux (3% du total), ce qu'on verra dans un prochain article sur les déchets nucléaires.

Éolien terrestre : 23%

Le chiffre de 74 GW annoncé correspond à 37 000 éoliennes de 2 MW, soit quatre fois le parc existant en 2020. La production énergie de 149 TWh, suppose un facteur de charge de 23%.

Éolien en mer : 31%

On prévoit dans ce scénario 62 GW d'éolien maritime, soit plus de 10 fois les 660 éoliennes des 11 parcs marins de la PPE, soit plus de 100 parcs marins à terme. Les 228 TWh de production d'électricité annoncés correspondent à un facteur de charge très optimiste de 42% (au lieu de 35% actuellement constatés sur ce type d’éolienne).

Photovoltaïque : 36%

Pour obtenir les 208 GW prévus, il faudra déployer au total plus de 180 000 hectares de panneaux solaires, soit 20 fois la surface totale déployée en 2020.  La production annoncée de 255 TWh est obtenue avec un facteur de charge de 14% qui correspond à ce qu'on observe à ce jour.

 Énergies marines : 1,3%

Cette production très marginale est celle de 2 hydroliennes qui seront installées dans le Morbihan, pour une puissance de 3 GW, et 9 TWh d'électricité qui sera produite sur l'année avec un facteur de charge attendu de 35%.

Hydraulique : 9%

Il n'y aura pas de nouveau barrage construit en France, qui ne dispose plus d'aucun site exploitable. Les 2300 barrages actuels continueront de délivrer une puissance de 22 MW et de produire 63 GWh d'électricité avec un facteur de charge de 33%.

Bioénergies : 0,07%

La filière bioénergies regroupe des centrales thermiques fonctionnant avec des combustibles renouvelables ou de récupération. Elle inclut les installations produisant de l’électricité à partir de biomasse solide (bois, paille…), de biogaz ou encore de déchets. Cette filière représente aujourd’hui environ 2 GW de capacité installée et près de 10 TWh de production annuelle (2 % de la production d’électricité totale).
 
Cette filière devrait rester marginale dans la production électrique, la biomasse étant orientée prioritairement vers d’autres usages énergétiques non électriques.

Thermique existant : 0,1%

Dans ce scénario, la totalité des centrales thermiques fossiles françaises sont arrêtées, à l'exception de la centrale de Landivisiau en cours de construction à ce jour et conçue pour durer 30 ans.
 
On voit de ce fait qu'il n'est absolument pas prévu dans ce scénario de combler les intermittences des énergies renouvelables fatales par du gaz ou tout autre combustible fossile, mais d'utiliser différents moyens dits "de flexibilité."

 Moyens de flexibilité

Rappelons qu'à chaque instant, la production électricité sur le réseau doit être rigoureusement égale à la demande. S'il y a un excédent à un moment donné, il faut réduire aussitôt la production, ou au contraire être en mesure de démarrer rapidement des moyens de production pilotables pour répondre à la demande en éviter une coupure.
 
Or, si on fait dans ce scénario M0 la somme des puissances des moyens de production d'électricité soumis aux aléas météorologiques, on obtient un total de 347 GW, à comparer au total des moyens pilotables (hydraulique, bioénergies et thermique) qui est de 24,6 GW, on voit qu'il manque 322 GW de pilotable si on souhaite une sécurité d'approvisionnement de 100%.
 
Certes, tous les moyens dits "fatals" ne vont pas forcément faire défaut au même moment, sauf que chaque nuit, on peut prévoir qu'il n'y aura pas de production solaire, et que si un anticyclone sur Europe dure quelques jours, les moyens éoliens vont faire défaut, de même les jours de tempête où les éoliennes sont mises en sécurité.

Capacité d'importation

Le moyen le plus évident quand on manque d’électricité est d'en importer des pays voisins. Au niveau européen, il y a des accords entre pays voisins pour de tels échanges. La France est à ce jour plutôt exportatrice d'électricité, mais il nous arrive d'importer de l'électricité de l'Allemagne, où malgré des investissements colossaux dans les EnR depuis la décision prise en 2011 d'arrêter le nucléaire, l'électricité est très carbonée, charbon et gaz, l’Allemagne n'ayant décidé de sortir du charbon (lignite) qu'en 2039...

Le scénario M0 prévoit la possibilité d’importer jusqu'à 39 GW de puissance électrique, qui risque de coûter cher et être très carbonée. Cela dit, ce chiffre n'a pas vraiment de sens, car il faudrait compter non pas en GW, mais en TWh : par exemple la France a exporté 40 TWh d'électricité en 2020.

Flexibilité de la demande.

La flexibilité de la demande consiste à couper le courant à de gros consommateurs d'électricité quand on à un manque de production. C'est ce qu'on appelle aussi la capacité d'effacement. Les industriels concernés ont signé avec leur fournisseur d'électricité un contrat qui l'autorise à couper le courant quand c'est nécessaire. Cela ne sera pas sans conséquence sur la production et sur les salariés concernés qui seront au chômage technique. Ce type de contrat existe déjà, même pour des particuliers (EJP ou Effacement Jours de Pointe).

La valeur proposée dans ce scénario est de 15 GW, soit l'équivalent d'environ 15 réacteurs nucléaires, c'est dire que la sécurité d'approvisionnement électrique dans ce scénario sera faible.

Vehicle-to-grid

 Le V2G (Vehicle-to-grid) désigne un système où des véhicules électriques en stationnement et branchés sur leur chargeur peuvent aussi redistribuer leur énergie électrique dans le réseau en cas de besoin, alimentant ainsi le domicile du propriétaire et lui faisant gagner de l’argent. Encore une fois le chiffre de 3 est exprimé en GW, alors qu'on attendrait des TWh de capacité de stockage.

Evidemment, cela ne fonctionne que lorsque vous n'utilisez pas votre voiture électrique, et que vous la mettiez à charger de préférence le jour quand il y a du soleil pour avoir de l'électricité la nuit. Pourquoi, pas, le principe me parait une bonne idée.

STEP

Les Stations de Transfert d'énergie par Pompage sont des installations qui équipent certains barrages afin d'utiliser l'électricité excédentaire. Le principe des STEP est à ce jour le meilleur moyen de stocker en masse avec un bon rendement (70%) de grosses quantités d'électricité.

 À ce jour, nous avons en France 6 unités de pompage, pour une puissance installée de 4,8 GW, qui ont produit en 2020 4,3 TWh d’énergie, soit moins de 1% de la production hydraulique en France et un facteur de charge de l'ordre de 10%.

S’il n’y a pratiquement plus aucun site permettant la construction de nouveaux barrages en France, il est toutefois encore possible d’installer des stations de pompage sur quelques barrages existants. L’objectif dans ce scénario est de monter cette capacité à 8 GW, par 4 ou 5 stations supplémentaires à construire on ne sait où.

Nouveau thermique décarboné (rectificatif du 8/11/2021)

J'ai trouvé dans le chapitre 4.5.3 quelques informations à ce sujet. Comment pourrait-on produire de l'électricité à partir d'un  combustible, quel qu’il soit sans émettre de CO2 ?  Quelques possibilité sont évoquées  :

  • La première est la combustion de l'hydrogène qui ne produit effectivement que de l'eau. Mais l'hydrogène n'est pas un combustible que l'on peut extraire de la nature comme le gaz naturel. Il faut le produire, et cela demande beaucoup d'énergie, de préférence électrique et décarbonée pour faire l'électrolyse de l'eau. Ce serait donc un non-sens absolu de brûler de l’hydrogène chèrement produit dans une centrale thermique pour produire de l'électricité. En fait, cela n'a de sens que pour de besoins de mobilité comme un véhicule équipé une pile à combustible ou d'un avion à hydrogène, mais ce n'est pas ce qui est visé dans ce scénario.

  • La seconde serait la combustion de gaz fossile dans une centrale qui serait équipée d'un système de captation et de stockage du CO2 émis (et autres déchets). Des recherches existent dans ce sens, mais là on parle d'une puissance de 29 GW, soit l'équivalent de la moitié de la puissance des 56 réacteurs nucléaires français actuels. De mon point de vue, on est là en pleine science-fiction.
  • Il est évoqué aussi la possibilité de brûler du biogaz ou du méthane de synthèse, mais rien de convaincant, et ces combustibles seraient mieux utilisés pour produire directement de la chaleur, et non de l'électricité.
Il n'est reste pas moins que le rapport RTE fait mention à plusieurs reprises de cette technologie improbable, comme étant indispensable dans le mix électrique décarboné de ces différents scénarios.

Batteries 

J'ai déjà parlé des batteries dans mon article sur le stockage.  Dans ce scénario, on donne un chiffre de 26 GW, ce qui une fois encore ne renseigne pas sur la capacité d'électricité stockée. On est encore réduit à des conjectures sur la durée du stockage : combien d'heures, de jours sont-ils nécessaires ?

Supposons que l'on décide de disposer d'un stockage sur batteries permettant de délivrer une puissance de 26 GW sur 24 heures. 

Dans mon article sur le stockage, j'ai fait le calcul de ce qui serait nécessaire pour remplacer 660 éoliennes (5280 MW) un seul jour sans vent, soit 24 heures. On arrive à un total de 126,7 GWh à stocker qui nécessiteraient pas moins de 726 000 tonnes de batteries, installées dans un hangar de 7 hectares (10 terrains de foot), pour un coût de 13 200 M€, soit plus cher qu’un EPR prototype à 12 milliards d’euros d'une puissance de 1650 MW.

Pour les 26 GW proposés dans ce scénario, il faut multiplier par 5 tous ces chiffres, soit une capacité totale de 633 GWh de batteries, soit l'équivalent de 633 millions de voitures TESLA Model S dont la batterie à une capacité de 100 kWh.

Conclusion

La puissance totale des énergies pilotables (hydraulique et bioénergies) dans ce scénario est de 26,6 GW, à comparer aux 347 GW d’énergies renouvelables fatales. Les "moyens de flexibilité" à hauteur de 120 GW sont mis en place pour dans la mesure du possible faire face aux caprices du vent et de la météo, afin d'améliorer la sécurité de l'approvisionnement électrique. 

Si on fait le rapport entre la puissance pilotable à laquelle on ajoute la puissance des moyens de flexibilité, soit 144 GW et la puissance des moyens fatals de 347 GW, on obtient un taux de sécurité de 42%, par rapport à une valeur idéale de 100% que l'on connait aujourd'hui.

Ce scénario repose sur des hypothèses techniques assez peu vraisemblables, et avec une sécurité du réseau très faible du fait de l'absence de machines tournantes des alternateurs des centrales actuelles (nucléaires ou thermiques) dont l'inertie assure la stabilité du 50 hertz qui est fondamentale pour assurer la continuité de service.

Une gestion informatique très complexe sera également nécessaire pour assurer cette stabilité et prendre à chaque instant les décisions de mise en œuvre automatique et immédiate des moyens de flexibilité disponibles pour faire face à chaque situation.

Ceci est d'autant plus inquiétant que pour vraiment décarboner notre énergie (et pas seulement l'électricité) l'électrification devra être développée de façon considérable dans tous les domaines, et ce n'est certainement pas sur la production d'électricité que pourra porter la sobriété énergétique indispensable à la décarbonation de nos usages.


Jean-Paul Arnoul

Pour le Collectif Vigies de la côte des Avens

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